L’Autofictif d’Eric Chevillard

Sept ans ! Sept ans qu’Eric Chevillard met quotidiennement à jour son blog conçu au départ comme une récréation dans le processus lent et ardu que constitue la rédaction d’un roman. Sept ans que, chaque jour, émergent trois petites perles de sagesse absurde, soit un peu moins de 8000 à l’heure actuelle. On n’osera pas poser une question aussi naïve que « mais où va-t-il chercher tout ça ? », mais il faut tout de même avouer que l’exercice force le respect.

Fidèle lecteur des aventures de l’autofictif depuis ma découverte de Chevillard – ce fut avec l’Auteur et moi, en 2012, bientôt suivi par de nombreux autres – j’ai enfin acheté le premier volume de ces pensées et j’ai passé les fêtes à m’en délecter. C’est à la fois le plaisir d’être en terrain connu – Chevillard a ses obsessions, ses marottes – et celui d’être surpris à chaque page par un des esprits les plus agiles à l’oeuvre aujourd’hui.

autofictifMalgré la relative rigidité du dispositif, Chevillard se permet tout. De la saynète du quotidien au haïku en passant par le paradoxe ou le simple jeu de mots, les fragments peuvent prendre toutes les formes et tous les tons. Leur principal point commun est l’extrême précision de l’écriture. A l’aise comme un poisson dans l’eau dans le format court, Chevillard développe à chaque ligne des trésors de concision et de justesse. Le lire au quotidien est suffisant pour s’en rendre compte, mais parcourir toute une année de blog donne une toute autre mesure à ce cisèlement constant du style.

Et, pour le lecteur régulier, revenir aux sources du blog est ainsi particulièrement intéressant : on y assiste à la naissance de personnages récurrents comme le gros célibataire (héros malgré lui de tercets ou de quatrains minimalistes) ou la joggeuse en caleçon court, et évidemment Agathe, la première fille de l’auteur. On s’amuse à repérer le tout premier haïku, la toute première mention de tel ou tel animal cher au bestiaire de Chevillard – Dieu sait qu’ils sont nombreux. Surtout, prend forme sous nos yeux la figure de l’autofictif lui-même, cet écrivain d’une quarantaine d’années qui ne vend pas beaucoup de livres mais poursuit son travail avec application, qui se sait légèrement dépassé par son époque sur certains points, qui n’aime pas beaucoup le jeu médiatique qui entoure la littérature contemporaine, et redoute par-dessus tout deux choses : obtenir le Goncourt et mourir. Et si ce n’est pas Chevillard lui-même, c’est indéniablement une de ses plus belles créations.

Impossible, pour finir, de ne pas reprendre quelques uns des très nombreux fragments que j’ai marqués dans mon exemplaire. Pour rester fidèle au principe du blog, je me suis résolu à n’en garder que trois, et ce ne fut guère facile.

Comme ma dilection pour les livres et la littérature se manifestait déjà à cet âge, mes parents, plutôt qu’une panoplie de cosmonaute, de cow-boy ou de chevalier, m’offrirent pour mes sept ans une panoplie de Balzac : robe à capuchon taillée dans un vieux drap, cordelette de rideau tressée en guise de ceinture, petite cafetière en fer blanc. L’année suivante, je réclamai une panoplie de Proust : moustache postiche, pot de brillantine, inhalateur et huile de camphre. Curieusement, nul camarade ne venait à mes goûters d’anniversaire et je buvais seul mon café ou mon thé dans la pénombre de ma chambrette silencieuse. (18 juin 2008)

Nous aurons beau fouler la terre et la tasser sous nos pieds cent années durant, elle sera toujours aussi meuble que du sable pour la pelle qui nous creusera un trou dedans. (19 juillet 2008)

Je n’ai pas suivi l’enquête mais je vois tout de suite deux explications plausibles au mystère de la chambre jaune : l’humidité ou le tabac. (18 novembre 2007)

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A lire également : un mémoire de master très intéressant sur l’autofiction chez Chevillard, en ligne sur le site de l’auteur.

10 réflexions sur “L’Autofictif d’Eric Chevillard

  1. La nébuleuse du crabe est le livre de Chevillard qui m’a marqué (je ne sais pas si j’en ai lu un autre). Je suis passé de temps en temps sur son blog, mais pas régulièrement, l’ouvrage papier me conviendrait davantage

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    • Si tu veux le redécouvrir, ses deux dernières publications (je ne peux pas dire roman) chez Minuit sont vraiment des sommets ! Je note la Nébuleuse du crabe, que je n’ai pas lu… J’en ai encore un certain nombre à découvrir, d’ailleurs !

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