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Madrid ne dort pas de Grégoire Polet

la ronde darrieux

La scène est, on s’en doute, à Madrid. Le temps d’une nuit, une poignée de personnages va se croiser, de près ou de loin, se reconnaître ou s’ignorer. Une jeune femme découvre que de petits trafiquants de drogue utilisent sa voiture comme une mule. Son frère, pendant ce temps, est sur le point de monter sur la scène de l’Opéra de Madrid où il doit interpréter Don Giovanni pour la première fois. Dans la salle : un journaliste que nous aurons déjà croisé dans une affaire de moeurs, Graciela, une auteure âgée venue non pour écouter l’opéra mais pour lire un manuscrit qui vient de lui être confié, et une poignée d’éditeurs que l’on croisera, plus tard, dans tous les cafés de la ville. Et au-dessus de Madrid plane la silhouette d’Almodovar, venu faire des repérages en hélicoptère.

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J’étais la terreur de Benjamin Berton

Il était exactement 16h55 lorsque deux détonations ont retenti, suivies de tirs en rafale puis d’une grosse explosion, dégageant de la fumée. Un hélicoptère déposait alors un commando sur le toit de l’entrepôt. S’ensuivaient une succession de flashs puis des tirs sporadiques et une nouvelle grosse explosion. Les frères Kouachi ont été tués en sortant et tirant pendant l’assaut. L’homme initialement présenté comme un otage, un jeune graphiste de 26 ans selon Véronique Havel, adjointe au maire, a retrouvé la liberté indemne. Un membre du GIGN a été blessé.

Voilà comment le Parisien racontait la fin de la cavale des frères Kouachi, deux jours après l’attaque de Charlie Hebdo le 7 janvier. Cette fin, nous la connaissons tous. Benjamin Berton, lui en imagine une autre : et si un des frères Kouachi avait plutôt organisé sa disparition, réussissant à se faire oublier suffisamment longtemps, planqué au fin fond d’une forêt, pour ne plus ensuite éveiller les soupçons ? Et si…

Le « et si » est un peu gros, je vous l’accorde. Chérif Kouachi, qui s’exprime à la première personne, indique s’être inspiré des méthodes de Jean-Pierre Treiber. Pourquoi pas. Du début à la fin, cependant, subsiste une légère gêne vis-a-vis de ce postulat qui ne parvient jamais tout à fait à convaincre de sa plausibilité uchronique.

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Escal-Vigor de Georges Eekhoud

saint sébastien

Parmi les bonnes raisons de lire Escal-Vigor de Georges Eekhoud, la première est certainement sa place un peu particulière dans l’histoire littéraire, puisque ce classique oublié fut le premier roman francophone (voire européen, mais mes sources semblent diverger) à intégrer au coeur de son intrigue une relation homosexuelle entre deux hommes (pour les femmes, ce fut d’après Guy Ducrey Mademoiselle Giraud ma femme d’Adolphe Belot, en 1870). Pour être plus précis, Escal-Vigor raconte la relation idéalisée entre Henry de Kehlmark, châtelain de l’Escal-Vigor, fraîchement revenu sur ses terres – situées dans une contrée imaginée, inspirée des Pays-Bas -, et de Guidon Govaertz, fils du bourgmestre du cru.

C’était en 1899, et une telle audace valut bien évidemment dans la foulée un procès à George Eekhoud, au terme duquel il fut cependant acquitté.

Ce pourrait être une simple curiosité de l’histoire des lettres, une note de bas de page dans les manuels sur la littérature du XIXe, mais Escal-Vigor est loin de se limiter à cela. Paru à la charnière du siècle, dans le courant d’un naturalisme finissant, le roman d’Eekhoud évoque plus le Huysmans d’après la rupture avec le cercle de Médan que Zola.

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Football de Jean-Philippe Toussaint

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Voici un livre qui ne plaira à personne, ni aux intellectuels, qui ne s’intéressent pas au football, ni aux amateurs de football, qui le trouveront trop intellectuel. Mais il me fallait l’écrire, je ne voulais pas rompre le fil ténu qui me relie encore au monde.

Cette crainte de Jean-Philippe Toussaint, je la partageais au moment d’ouvrir Football. Je ne dois pas être le seul à avoir considéré l’annonce de la publication de ce petit texte avec une certaine dose de scepticisme. Quoi, Toussaint, ce romancier si délicat, si fin, nous parler de ce divertissement vulgaire, de cette préoccupation du vulgue homme pecus (comme dirait Queneau) ? Ben, oui, j’suis snob comme le chantait un autre.

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Il faut tenter de vivre d’Eric Faye

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Dès le premier chapitre, le ton est donné : s’il fallait trouver un modèle pour Sandrine Broussard, l’héroïne du dernier roman d’Eric Faye, ce serait Bonnie Parker. Et en effet, le parallèle ne sort pas de nulle part : même enfance miteuse, même rencontre qui bouleverse tout avec un Clyde qui sera l’éternel complice, même sentiment d’embrasser la liberté pour de bon en passant du côté du crime.

Eric Faye se met donc dans les pas du couple de criminels le plus célèbre de l’Histoire, et invente avec Sandrine Broussard et son compagnon Julien des Bonnie & Clyde modernes. Avec un peu moins d’ambition dans le crime cependant : pas question de braquer des banques ; il s’agira plutôt d’arnaquer de vieux célibataires naïfs et riches en leur faisant miroiter une rencontre avec une jolie jeune femme à qui ils devront envoyer de l’argent pour payer un billet d’avion ou de train. En répétant l’opération un certain nombre de fois, le couple parvient à se payer une petite vie tranquille, jusqu’à ce qu’une de leurs victimes, plus en colère que les autres, mette la police sur leur piste.

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Ruines-de-Rome de Pierre Senges

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Combien a-t-on vu d’apocalypses ? Combien de fois le monde devra-t-il disparaître sous l’assaut d’une catastrophe écologique, d’un cataclysme nucléaire, d’une épidémie ou d’une collision   de la Terre avec un autre corps céleste ? N’en verra-t-on jamais la fin, franchement ?

Eh bien non, car voilà que Pierre Senges a l’idée d’une apocalypse bien à lui, qui nous changera des canons du genre – on n’en attendait pas moins d’un tel auteur. Dans Ruines-de-Rome, Senges imagine une fin du monde par les plantes ; une fin du monde douce et invisible, insidieuse, une dévoration lente mais inexorable de la civilisation par le monde végétal, orchestrée par un jardinier minutieux et déterminé. Ce jardinier, héros – si l’on peut dire – et narrateur de Ruines-de-Rome, a une première vision de cette apocalypse en voyant les racines d’un frêle arbrisseau desceller les dalles d’un chemin et soulever le goudron qui le borde. A partir de là, il n’aura de cesse de répandre graines et jeunes pousses dans la ville pour y semer le chaos.

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15 livres pour 2015

platypus d'or

Pour la troisième fois depuis l’ouverture de ce blog, c’est le moment de faire le bilan et de distribuer bons et mauvais points pour l’année qui vient de s’écouler (ce qui est toujours un moment de plaisir intense, c’est mon côté instituteur vieille France : j’adore distribuer les bons points).

Une année d’une grande richesse du côté de la littérature, avec notamment une belle rentrée de janvier et, en fin de compte, une rentrée de septembre de plutôt bonne tenue même si, encore plus que d’habitude, médias et prix ont surtout vu triompher la médiocrité (coucou les Académiciens). A titre plus personnel, ce fut un grand cru pour la lecture puisque j’ai retrouvé mon rythme de 2013 avec 165 livres lus – record à battre en 2016 – et environ 110 chroniqués ici (je ne désespère pas de rattraper mon retard et de chroniquer les 50 manquants), auxquels s’ajoutent une dizaine de chroniques sur Balises, le webmagazine de la Bpi, où j’interviens maintenant tous les mercredis (notez ça quelque part dans vos tablettes ou suivez-moi sur Facebook pour ne pas rater ces articles). Je suis aussi presque venu à bout du 2015 Reading Challenge.

Il n’a donc pas été difficile de trouver 15 romans sortis en 2015 à mettre en avant pour ce classement de fin d’année – au contraire, le choix a été cornélien et plusieurs ont échoué aux portes du top…

(Cliquez sur les couvertures pour accéder au billet consacré à chacun de ces romans)


 

TOP 3 Vernon Subutex2015 aura été l’année de Vernon Subutex, ce disquaire ruiné, condamné à vivre dans la rue avant d’être sauvé par une poignée d’amis réunis autour de lui comme dans une abbaye de Thélème d’un genre nouveau. Avec sa construction qui n’est pas sans rappeler certains grands feuilletons du XIXe – avec un peu plus de sexe, de drogues et de rock’n’roll -, Vernon Subutex fait partie des projets les plus excitants de l’année, et la parution du tome 3 est sans doute un des évènements les plus attendus de l’année littéraire à venir.


Entre les deux il n'y a rienEntre les deux il n’y a rien fait partie des expériences de lecture si puissantes qu’il est difficile d’en parler ensuite. En faire un résumé semble à chaque fois une trahison. Disons cette fois qu’il y est question des années de plomb et des années SIDA, et entre les deux de l’éveil au monde d’une conscience politique, celle d’un des auteurs les plus précieux du paysage littéraire français actuel.


TOP 1 L'infinie comédieComment pouvait-il en être autrement ? Après presque vingt ans d’attente, le chef d’oeuvre de David Foster Wallace nous parvient, héroïquement traduit par Francis Kerline et Charles Recoursé, nous permettant enfin de réaliser à quel point il mérite son statut de livre culte parmi les livres cultes. Brillant, foisonnant, résumant à lui seul une bonne partie de la littérature américaine de ces cinquante dernières années, c’est le genre de livre qu’il faudrait absolument emporter sur une île déserte.


De votre côté, vous avez plébiscité plus particulièrement les billets consacrés à trois livres :  Phénix de Raymond Penblanc – une bonne nouvelle car ce très joli roman aurait mérité plus d’écho dans les médias -, Soumission de Michel Houellebecq – sans surprise – et Lisières du corps de Mathieu Riboulet – ce qui prouve encore votre très bon goût.

Merci donc à vous tous qui êtes passés par ici et vous êtes manifestés tout au long de cette année, que nous ayons été d’accord ou non ! Il ne me reste qu’à vous souhaiter une excellente année, tant sur le plan des découvertes littéraires que d’un point de vue plus personnel, et à vous dire à très bientôt pour les premières lectures de 2016 !

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Nouvelle adresse et nouveau look

Bonjour à tous,

Comme certains l’ont peut-être déjà remarqué, le blog a subi un ravalement de façade intégral avant d’attaquer la nouvelle année. Mais ce n’est pas tout ce qu’il y a de neuf : alors que vous aviez l’habitude de vous rendre sur profplatypus.com, vous voilà maintenant – si tout se passe bien – sur profplatypus.fr

La redirection se fait automatiquement si vous tentez d’accéder à l’ancienne adresse ; cependant, si vous suiviez le blog par le biais de son flux RSS, d’un abonnement WordPress ou d’un abonnement par mail, vous allez bientôt cesser (en principe) de recevoir des notifications pour les nouveaux billets. Pensez donc, pour ne rien rater, à modifier votre agrégateur de flux, à vous réabonner par mail en utilisant le formulaire dans la colonne de droite, ou plus simplement à liker la page Facebook du blog !

Merci pour votre fidélité et à très bientôt !

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Une forêt profonde et bleue de Marc Graciano

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La fille montait un étalon de race barbe et de robe alezan brûlée et c’était un jeune cheval maigre et fougueux au cou long et gracieusement arqué et c’était une monture rétive et ombrageuse, quoiqu’ordinairement quiète sous les ordres de la fille, que la fille montait à cru sans système de mors et de bride ni système d’enrênement et la fille, durant la chevauchée, agrippait alternativement une main à la crinière en désordre de sa monture et un épi de crins rebelles s’était formé, à l’usage, sur la crinière en désordre de sa monture.

Si le style de ce paragraphe, qui constitue le premier chapitre d’Une forêt profonde et bleue, ne vous rebute pas complètement mais vous donne au contraire envie de savoir comment un romancier peut tenir la longueur avec une langue aussi particulière, ce roman est fait pour vous. Il n’est pas si courant de tomber sur des romans dans lesquels le plus marquant n’est pas l’intrigue mais la langue. Celle de Marc Graciano est belle et simple malgré la recherche extrême du vocabulaire ; elle n’a aucune considération pour les répétitions, qu’elle utilise au contraire pour créer un effet poétique ; elle ne cherche pas à construire des phrases alambiquées mais utilise le « et » à toutes les sauces, transformant la phrase en un long écoulement serpentin qui englobe à elle seule l’intégralité de la forêt qui sert d’écrin à ce joli texte.

La forêt : venons-y tout de même. Pas n’importe quelle forêt mais une forêt des temps anciens, la forêt crainte et révérée de vieilles peuplades païennes, une forêt qui est à la fois un refuge et une menace permanente, et une forêt pleine d’ombres et de magie – n’est-elle pas, pour commencer, bleue alors qu’on la penserait, bêtement, verte ?

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Suivez le blog sur Facebook

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Une petite page de pub avant la reprise de vos programmes habituels : les Carnets du Pr. Platypus sont maintenant aussi sur Facebook !

En plus des nouvelles publications (qui portent parfois sur des livres lus six mois auparavant…), j’essaierai entre autres d’y partager mes lectures en cours – parce que ça peut être #VendrediLecture tous les jours…

C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis un moment mais qui est complètement en décalage avec ma manière de tenir le blog (vous avez peut-être remarqué que je ne suis pas un rapide, pour répondre aux commentaires notamment), mais ma bonne résolution de 2016 sera d’animer cette page régulièrement. J’espère vous y retrouver nombreux !